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Coup de balai dans l’armée turque à la veille du verdict Ergenekon

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Coup d balaiLe dernier Conseil militaire suprême (YAŞ – Yüksek Askeri Şura), qui s’est tenu du 1er au 3 août 2013, a procédé à une redistribution des commandements sans précédent à la tête de l’armée turque. La première surprise de ce YAŞ 2013 concerne le sort fait au général Bekir Kalyoncu, le chef de la gendarmerie sortant, qui, eu égard aux pratiques en vigueur, devait être nommé à la tête de l’armée de terre, pour devenir chef d’état-major dans deux ans. Or, c’est le général Hulusi Akar qui est nommé à la tête de l’armée de terre en remplacement du général Hayri Kıvrıkoğlu. Cette position est importante, on l’aura compris, car, dans le cursus honorum de l’armée turque, elle est l’antichambre de la fonction suprême de chef d’état major. Le général Necdet Özel, nommé il y a deux ans, doit demeurer à ce poste jusqu’en août 2015, mais le pouvoir civil a manifestement voulu faire le ménage à ses côtés. Car, la seconde surprise de ce YAŞ est que finalement les commandants des 3 autres armes (outre l’armée de terre, il s’agit de l’aviation, de la marine et de la gendarmerie) sont aussi renouvelés. Le nouveau chef de l’armée de l’air est le général Akın Öztürk, qui remplace le général Mehmet Erten. Le nouveau chef de la marine est l’amiral Bülent Bostanoğlu, qui remplace lui l’amiral Murat Bilgel. Le nouveau chef de la Gendarmerie est le général Servet Yorük qui remplace donc le général Bekir Kalyoncu. Les généraux Kıvrıkoğlu, Kalyoncu et l’amiral Bilgel ont été mis à la retraite. Et si le général Erten a été, lui, nommé membre du YAŞ, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une manière courtoise de l’inciter à démissionner, ce qui devrait se produire probablement dans les six prochains mois.

Ces nominations apparaissent comme un nouvel acte d’autorité du pouvoir civil sur l’autorité militaire, dans un pays où celle-ci à longtemps tenu un rôle à part qui la voyait intervenir couramment dans la vie politique et bénéficier d’une sorte d’immunité politique et judiciaire. Ce n’est pas la première fois bien sûr que le gouvernement de l’AKP impose sa loi aux militaires, les péripéties de ce dernier YAŞ peuvent même apparaître à cet égard comme la fin d’un cycle, qui a mis un terme à l’exception sécuritaire turque qui voyait ce pays prendre l’aspect, tantôt d’un régime parlementaire se nourrissant de processus électoraux routinisés, tantôt d’un système sécuritaire où l’armée  et plus généralement une élite d’Etat encadraient l’action des gouvernants élus, voire interrompaient leurs mandats par des coups d’Etat.

Au cours de la première législature de l’AKP au pouvoir (2002-2007), une sorte modus vivendi s’était établie entre le nouveau gouvernement désireux de privilégier le consensus, et les militaires en phase d’observation. Toutefois, dès 2005, le remplacement du très lisse général Hilmi Özkök, par le rugueux général Yaşar Büyükanıt, commença à compliquer les relations entre le civils et les militaires. La première grande crise devait intervenir à l’occasion des élections présidentielles de 2007, l’état-major s’employant à faire échouer en vain l’arrivée d’un membre de l’AKP au sommet de l’Etat (cf. nos éditions des 13 avril 2007 et 1er août 2007). L’élection d’Abdullah Gül à la présidence, en août 2007, fut donc le premier grand revers de l’armée, qui depuis n’a cessé de reculer (cf. notre édition du 12 septembre 2007). Ces nouvelles retraites l’ont vue perdre ses privilèges judiciaires, notamment le droit de ses membres à ne pas relever des juridictions civiles et l’ont amenée ainsi à affronter une série de procès pour complot (Ergenekon, Cage, Plan d’action contre la réaction, Balyoz) qui ont conduit derrière les barreaux près de 10% des généraux turcs, dont l’ancien chef d’état-major (2008-2010), İlker Başbuğ (cf. notre édition du 7 janvier 2012) .

Depuis 2010, ce sont les YAŞ qui constituent le point d’orgue de ce processus de démilitarisation du système politique turc. Le YAŞ est en effet l’instance où se décide les promotions des militaires. Il y a chaque année 2 YAŞ : le premier en décembre, le second fin juillet-début août. C’est le second qui retient généralement l’attention, parce qu’il se prononce sur les nominations aux fonctions les plus élevées, notamment celles de l’état-major. Longtemps pourtant, cette instance s’est comportée en chambre d’enregistrement. La présidence du premier ministre y était formelle et ce dernier d’ailleurs n’assistait pas aux sessions du YAŞ. Si bien que le pouvoir civil ratifiait sans sourciller les nominations effectuées par l’armée elle-même qui jouissait de fait d’une faculté de cooptation de ses membres pour organiser son commandement.

Les choses ont commencé à changer lors du YAŞ d’août 2010 qui a été présidé pour la première fois, par Recep Tayyip Erdoğan, aux côtés du chef d’état-major sortant, le général İlker Başbuğ (cf. notre édition des 2 août 2010, 6 août 2010, 7 août 2010) . Cette audace du pouvoir civil s’est accompagnée d’une première immixtion de celui-ci dans le processus des nominations au plus haut niveau, le gouvernement parvenant à troubler déjà le cursus honorum traditionnel et à retarder la nomination du nouveau chef d’état-major. Lors du YAŞ 2011, la démission du chef d’état-major nommé l’année précédente (le général Işık Koşaner) s’accompagnant de celle de la plupart des commandants des différentes armes, devait offrir la présidence du Conseil en question au premier ministre qui l’exerça effectivement seul pour la première fois (cf. notre édition du 3 août 2011). Les deux YAŞ de 2010 et de 2011, par des tours de passe-passe ou des accidents, ont donc permis une intrusion du pouvoir civil dans ce privilège de cooptation que s’étaient accordés les militaires. Si le YAŞ de 2012 fut un YAŞ de transition (cf. notre édition du 5 août 2012), le YAŞ 2013 marque un tournant en ce sens que désormais, sans procéder à de quelconques manœuvres ou bénéficier de quelque incident que ce soit, le gouvernement a ouvertement exercé son droit de choisir les nouveaux chefs de l’armée turque.

Ce développement intervient toutefois dans un contexte tendu, le verdict du procès Ergenekon, l’une des affaire-phare qui a éreinté les militaires, ces 6 dernières années, devant être rendu le 5 août 2013. Alors que le système sécuritaire qui avait été consacré par les coups de 1980 et 1997 et la Constitution de 1982, paraît avoir vécu, certains s’interrogent aussi sur les évolutions d’un régime politique turc en cours de renouvellement constitutionnel et sur ses nouveaux équilibres politiques…

Jean Marcou


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